Café et climat: impacts sur les entreprises


PRÉFACE

La série suivante, abordant les impacts des changements climatiques sur la culture du café, se veut différente dans sa structure et son contenu. Elle est composée d’un regroupement de blogues qui s’appuient sur la recherche scientifique, et qui décortiquent les impacts du réchauffement climatique sur la production du café ainsi que sur les sphères sociale et économique. C’est un sujet d’actualité qui me tient fortement à coeur, car nous sommes sur le point de vivre un bouleversement dans notre relation avec le café. Ces blogues ont pour but premier d’introduire les enjeux du climat sur le café pour conscientiser le lecteur, et alimenter les réflexions sur la portée et le pouvoir de nos choix en tant que consommateur. Cette série se penche ultimement sur la question suivante: que pouvons-nous faire concrètement pour assurer la pérennité de la culture du café dans un environnement où le climat est changeant?


L’industrie du café est menacée par les changements climatiques. Les températures plus chaudes et les périodes de sécheresses plus fréquentes, entre autres, mettent à risque la production du café et la sécurité d’emploi des petits producteurs. Le climat changeant expose de nouveaux défis pour le commerce du café auxquels font face tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement.

Nous devons changer nos habitudes de consommation pour assurer la viabilité de l’industrie du café à long terme. Dans ce blogue, je me suis intéressé aux impacts perçus des changements climatiques sur les entreprises d’importation de café et de vente au détail en Amérique du Nord. Il me semblait intéressant d’avoir une perspective interne d’une entreprise sur les défis et les problèmes qu’apportent les changements climatiques.

Je vous présente donc mon entretien avec Dany Marquis de la Brûlerie du Quai qui a gentiment accepté de répondre à mes questions. Je lui ai entièrement laissé la plateforme pour véhiculer ses idées et générer des réflexions — et oui, certaines choses vont faire du bruit! 😬. Ses réponses dépassent même les intentions de ce blogue et abordent, en bonus, une panoplie d’enjeux dans l’industrie du café de spécialité. Ce contenu est livré avec un souci d’authenticité, c’est pourquoi son édition s’en est tenue au minimum. Bonne lecture! 🤓

QUI ES-TU?

« Je m‘appelle Dany Marquis, fier Gaspésien, père de 4 enfants, et entrepreneur gourmand.  Mon parcours professionnel m’a fait tomber dans l’univers des stations de télévision à la suite d’une formation en génie électrique, spécialisée dans le domaine de l’audiovisuel.  J’ai fait ça quelques années à Montréal, principalement à RDS et Global.  C’était un domaine excitant et dynamique qui m’a donné la piqûre de la gestion de projet.  Après la naissance de notre deuxième enfant, la perspective de continuer la famille à Montréal et les opportunités d’avancement dans mon boulot étaient limitées, du moins dans un contexte de conciliation travail-famille.  (…)

Ayant grandi dans un village gaspésien de 250 habitants, on était loin de ce que j’avais vécu plus jeune.  Nous avons donc décidé de plier bagage et de revenir en Gaspésie pour offrir à la famille un milieu de vie différent.  On a choisi Carleton-sur-Mer, et on a fait deux autres bébés.  L’entreprise que j’ai démarrée était au départ un moyen de subsistance pour assumer un lifestyle plein-air, voile, mer et montagne.  Mon premier projet a été un tout petit atelier de torréfaction de café, connu sous le nom de la Brûlerie du Quai

La Brûlerie du Quai me permet aujourd’hui de boire du bon café! »

 

QUELLE EST LA MISSION DE LA BRÛLERIE DU QUAI?

« Comme mentionné plus haut, je me considère comme un entrepreneur gourmand.  Mon entreprise possède plusieurs volets, et la Brûlerie du Quai est probablement la branche la plus connue.  J’ai aussi une fabrique de chocolat à partir de nos importations de fèves de cacao qui s’appelle Chaleur B Chocolat, et j’ai un volet qui travaille le sirop d’érable.

Ces trois volets ont une mission commune de valoriser le terroir et le travail du producteur, de mettre en valeur l’origine et l’univers agricoles, ainsi que la saisonnalité des récoltes.  Cette mission s’articule autour de l’expérience client: on connecte le consommateur avec l’origine et on le fait voyager à travers des dégustations exceptionnelles.

Que ce soit pour le café, le chocolat ou le sirop d’érable, on travaille (…) des matières premières qu’on transforme pour les mettre dans les mains de nos clients. »

 
« Souvent, j’explique que nous sommes des passeurs d’arômes.  La grosse partie de la job, c’est le producteur qui la fait »
— Dany Marquis, Brûlerie du Quai
 
Mon premier grand cru à vie! — Legendary Gesha, produit par El Injerto au Guatemala, torréfié par la Brûlerie du Quai.

Mon premier grand cru à vie! — Legendary Gesha, produit par El Injerto au Guatemala, torréfié par la Brûlerie du Quai.

 

EN QUOI CONSISTE L’IMPORTATION DU CAFÉ VERT?

« Ça, c’est toute une aventure! Il y a beaucoup d’incompréhension et d’exagération dans l’industrie à ce sujet. D’ailleurs, mon travail avec le sirop d’érable m’a beaucoup aidé à comprendre les concepts de gestion de l’offre agricole et du rôle des fédérations de producteurs.  Ce qu’on oublie souvent, c’est que les producteurs de café sont des agriculteurs avant tout.  

La 3e vague s’est servie d’eux pour créer une version un peu romantique du producteur, mais le travail de la terre rend ceux qui le font très pragmatiques.  Les producteurs qui font du café sont des entrepreneurs, et c’est leur gagne-pain.  Ils n’en ont donc souvent rien à cirer des Nord-Américains qui vont faire du tourisme chez eux pour ensuite utiliser leurs photos pour montrer qu’ils font du commerce direct.

Les fermiers, souvent constitués en groupes, coopératives ou associations, veulent avant tout faire vivre leur famille. Lorsqu’ils ont une récolte sous la main, ils ont souvent des lots de café de plusieurs qualités différentes. Ils vont souvent privilégier une rémunération rapide avec leur fédération, quitte à avoir un prix moindre en échange de leurs cafés. C’est comme un revenu de base garanti. Il y a des variantes selon les pays, mais ça demeure des systèmes de gestion de l’offre agricole.

Pour ceux qui sont plus entrepreneurs, ils divisent en partie leur récolte pour en faire certifier une quantité biologique ou équitable, afin d’avoir un premium de leur fédération sur le prix à la livre. (…) Pour les lots de meilleure qualité, ils peuvent travailler à obtenir un meilleur prix que celui de la fédération ou des acheteurs locaux. La logistique de l’exportation peut être compliquée si le producteur n’a pas les ressources: ils doivent trouver des acheteurs et une agence pour exporter et se faire payer. 

L’importateur se charge de l’organisation du transport et s’occupe des douanes. Parfois, l’exportateur peut faire un arrangement clé en main / ‘‘door to door’’. Ce n’est pas évident.

Les modalités de paiement complexifient également l’importation du café vert.  Le paiement sera-t-il fait à la commande ou à la réception?  Peut-on s’entendre sur l’expédition d’une plus grande quantité avec autorisation de payer 60 jours plus tard?  S’il y a de la souplesse sur le paiement de la marchandise, l’exportateur (un producteur ou une agence) augmentera le prix, tandis qu’un paiement à la commande sera souvent accompagné d’un rabais — notez ici qu’on est dans des grades de cafés qui sont vendus au minimum deux fois le prix minimum fixé par la certification équitable.  

Ensuite, la prise de propriété de la marchandise suit le paiement.  Si je paie une fois la marchandise arrivée au port ou à l’aéroport, elle ne m’appartient pas tant qu’elle n’est pas arrivée à destination. S’il arrive quoi que ce soit, que le café a été contaminé pendant le voyage ou quelque chose du genre, qui va absorber la perte? Quand tout va bien, tout va bien, mais comme le dit le proverbe ‘‘Shit happens’’.

L’aspect monétaire est important. Si la quantité importée n’est pas assez grande, l’amortissement des frais de transport sur le café au kilogramme est alors trop longue. C’est pour ça que les prix du café de 3e vague sont souvent artificiellement élevés, car les quantités transportées sont trop petites (…). L’industrie a de la difficulté à valoriser de vrais cafés grands crus — l’équivalent des millésimes —, car les structures de prix sont gonflées et la terminologie de l’industrie du café n’est pas vraiment respectée.  Les termes ‘‘haut de gamme’’ et ‘‘grand cru’’ sont galvaudés et utilisés pour n’importe quel grain, ce qui n’aide pas les consommateurs à se retrouver dans les différentes allégations.  

Les producteurs sont des agriculteurs pouvant produire des quantités assez élevées de café par récolte.  Ce n’est pas rare de voir des centaines de tonnes par saison.  Pour eux, ça doit se transformer en monnaie. Les histoires d’achat direct des torréfacteurs sont très souvent un gros tissu de mensonges, fréquemment encouragé par le romantisme des consommateurs fascinés par l’histoire du globetrotteur partant à la chasse au café au fond de la jungle. 

D’ailleurs, je fais face couramment à des réactions négatives de certains clients quand je leur dis que, pour leur café préféré, on transige en ligne, et que le producteur préfère que je lui achète plus de café, ou que je lui donne un meilleur prix plutôt que je prenne l’avion pour aller le voir. (…)

De mon côté, je voyage et visite parfois mes partenaires, mais ce sont des visites de courtoisie — comme on visite sa famille.  Je voyage également avec des courtiers, surtout si nous avons des ententes pour des paiements différés ou une certaine souplesse dans les transactions. Apprendre à se connaître face à face est parfois nécessaire.  Toute transaction commerciale est avant tout une transaction entre êtres humains, ou chacun a des intérêts. On vise une relation ‘‘gagnant-gagnant’’.  Parfois, ce sont les moments informels, agrémentés d’un peu de vin, qui transforment les relations d’affaires en amitiés. Cela permet un bon niveau de confiance pouvant être difficile à comprendre de l’extérieur.

Toutefois, dans la majorité des cas, les volumes de transaction sont trop petits et les cafés sont achetés par des intermédiaires qui gèrent les sélections, les achats, les importations, la logistique, le fond de roulement, etc.  On va souvent les appeler les courtiers.  Il y en a de très bons à Montréal, dont NJ Douek avec qui je travaille depuis mes tout débuts (…).  Des joueurs émergents, comme Félix-William Trépanier de Ja Coffee, font leur place avec une offre très intéressante et travaillent en lien direct avec les producteurs. Les courtiers sont un peu les mal aimés du domaine, mais, sans eux, il n’y aurait pas beaucoup de micro-torréfacteurs. Il n’y aurait que de gros joueurs avec de gros moyens financiers.

(…)

Ça peut sembler beaucoup pour un non initié, mais l’importation de café demande des liquidités importantes.  Les transactions de 25 000$ à 100 000$ ne sont pas rares. (…) Les cafés achetés prendront un certain temps à s’écouler.  De mon côté, j’essaie de garder des cafés de la récolte courante, donc mes inventaires roulent sur 12 mois, maximum 18 mois.  

(…)

C’est là que les courtiers deviennent salutaires pour l’industrie. Ils permettent au plus petit torréfacteur de piger dans leur inventaire sans prendre de risque.  C’est ce qu’on appelle les inventaires ‘‘spot’’. Ils permettent l’existence de plusieurs petits torréfacteurs et assurent une certaine variété dans l’offre.  Ce sont des agents de l’ombre qui laissent les torréfacteurs briller sur la scène.

Ça crée toutefois certaines situations problématiques, selon moi, car certains torréfacteurs qui n’ont pas les moyens de réellement importer utilisent la vieille méthode du ‘‘fake it till you make it’’.  Ce sont de petites émotions qui restent dans l’industrie, mais qui sont désolantes, car on envoie des messages mensongers aux consommateurs sur le réel fonctionnement de l’approvisionnement.  

C’est pour ces raisons que vous verrez apparaître chez certains des informations comme le prix FOB, ou le nom du courtier qui a fait l’import.  Ça joue du coude dans notre domaine, et comme plus de 50% des entreprises de torréfaction atteignent à peine leur seuil de rentabilité, c’est difficile de partager une assiette quand tout le monde a faim.  Chaque entreprise essaie de se différencier de son mieux.

Je me permets aussi un petit saut pour dire que le social washing est trop utilisé dans certaines stratégies de marketing. C’est assez unique au café. Peu de gens posent des questions sur le sucre, le chocolat, les légumes et les fruits. Le problème d'iniquité est dans l'industrie de l’agriculture en général, pas juste dans le café.  Même ici, les travailleurs de terrain ont des conditions de travail terribles.  

Pour des raisons qui me sont un peu floues, le café est devenu le produit phare de la justice sociale. Avant c’était surtout la certification équitable qui était brandie comme un étendard. Maintenant, les certificateurs ont moins de budget ou ont lâché le morceau avec leur campagne marketing. C’est aujourd’hui plus diffus, mais on voit encore des concepts idéologiques qui présentent les producteurs comme des victimes et le torréfacteur comme un sauveur dans les stratégies marketing.  (…) Notez que je ne me positionne pas sur ces sujets comme tels, mais c'est plus sur l’utilisation des combats sociaux par des entreprises à but lucratif que je trouve toujours comique.  

(…)

Bref, un grand détour pour vous dire que les producteurs n’ont pas grands intérêts envers un petit torréfacteur qui a un ou deux employés et qui torréfie de petites quantités tout en utilisant l’image du producteur pour se donner un aura de bienfaiteur généreux assaisonné de la culpabilité du repenti conscient de ses privilèges blancs. Disons que j’ai un peu de misère avec ça et qu’il faut bien être Nord-américain urbanisé pour penser comme ça. 

Il y a beaucoup à dire là-dessus.  Au bout du compte, les producteurs n’auront pas plus d’argent dans leur coffre avec ce type de stratégie. En dépeignant les organisations de producteurs de café comme des pauvres, c’est réducteur et le pauvre, souvent, c’est le torréfacteur qui essaie de vivre de son travail à travers les paiements mensuels des équipements coûteux , de son loyer et des autres dépenses d’opération.  Malgré notre filet social mieux garni que celui des producteurs, c’est une situation peu enviable.

Au niveau de l'approvisionnement, nous avons décidé de travailler sur un cadre basé sur la qualité réelle des cafés.  Mon offre se situe en 3 gammes, avec une qualité mesurable selon le protocole de cupping de la SCA. 

  • Mes cafés de base, que nous appelons «Classiques», sont des cafés avec un rapport qualité/prix optimal, avec lesquels j’essaie d’avoir du volume.  Ces cafés plus grand public viennent majoritairement de bons courtiers, mais notre volume nous permet maintenant d’effectuer des importations directes pour cette collection.  Nous avions certains obstacles dans le passé, soit les moyens financiers et le manque d’espace, ce qui est maintenant chose du passé (…). 2022 sera un point tournant pour nous au niveau des ententes directes avec des producteurs chez qui nous avons de bons liens et de beaux projets en cours.  Toutefois, certains grains de base continueront de provenir des courtiers québécois, canadiens et américains.

  • Pour ma gamme Prestige, nous travaillons avec des courtiers plus spécialisés qui offrent des cafés de qualité, soit pour moi entre 85 et 87 points.  Dans certains cas, nous avons des relations directes, comme COAGRICSAL au Honduras, San José Ocana au Guatemala et même en Éthiopie avec Kebede Godo Loni.  L’enjeu c’est le transport: soit aérien ou maritime, avec un conteneur partagé.  Notez qu’un conteneur plein contient 19 tonnes de café, donc ce n’est pas évident à travailler, et à payer. Certains de nos cafés de cette collection viennent aussi de plateformes d’enchères privées, ou les National Winner du Cup of Excellence lorsque les notes de cupping sont de 87 points.

  • Pour ma collection Réserve Sélecte et Signature, ce sont exclusivement des importations privées de ma part, soit en provenance des enchères du Cup of Excellence, soit d’enchères privées sur invitation et ou par lien direct avec le producteur.  J’apprécie beaucoup les audits indépendants de certaines plateformes d’enchères.  Ce genre de système assure une évaluation objective et anonyme des cafés et ce sont les pointages de cupping les plus précis au monde.  Lorsque c’est fait par le producteur, il peut y avoir une surévaluation (…). Avec des audits indépendants, un 90 points c’est un vrai 90.  Il y a beaucoup d’argent en jeu et un producteur ne peut payer pour avoir une évaluation.  Contrairement à ce qu’on peut voir sur certains sites qui vendent des évaluations et qui donnent des notes de 94-95 points régulièrement, les références du Cup of Excellence sont les plus respectées au monde, et il est extrêmement rare d’avoir des cafés de 90 points, — 2-3 par récolte par pays et c’est tout, parfois 1 qui dépasse le 91 points, mais c’est rarissime. Ils sont ce que j’appelle les «vrais de vrais grands crus» avec évaluation indépendante. Et ces cafés coûtent cher. 

(…)

Et je terminerai cette question en vous disant que si un torréfacteur vous dit qu’il importe son café, demandez-lui de voir les documents de douane, d’importation, les certificats phytosanitaires, les bill of lading de transport, etc.  Vous devriez voir son nom sur les documents officiels.  Il n’est pas obligé de vous montrer la facture, mais il y a plein d’autres documents. Aussi, c’est très correct de travailler avec un bon courtier professionnel, c’est du travail d’équipe.  Si les consommateurs comprenaient mieux comment ça fonctionnait, ils mettraient moins de pression à ce que chaque petit torréfacteur soit un Indiana Jones du café. »

 
 

À TON AVIS, COMMENT LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES VONT-ILS INFLUENCER L’AVENIR DU CAFÉ DE SPÉCIALITÉ CHEZ LES ENTREPRISES?

« Il y a plusieurs positions à adopter devant une crise, ou une tempête. Je rejoins beaucoup le côté pragmatique de mes partenaires producteurs avec qui j’ai échangé sur le sujet.  Nous avons des enfants, une famille, une communauté, il y a une tempête qui s’en vient, on va gérer. On va s’adapter.

« La plupart sont en mode adaptation. Il y a un réchauffement du climat qui se perçoit. Les dates des récoltes sont les mêmes depuis 100 ans, mais depuis 4-5 ans, ça change. La cueillette se fait plus tôt ou plus tard et les précipitations sont différentes. Ils s’adaptent.  Adapte-toi ou crève.   »
— Dany Marquis, Brûlerie du Quai

Ils ne peuvent se permettre de marcher dans la rue et de manifester. Ils sont dans la survivance. Ils n’ont pas ce luxe.  On peut trouver ça triste, je suis aussi en colère face à l’humanité qui se comporte avec insouciance depuis des années et qui nous laisse avec la planète en piteux état. Alors, ça force l’inventivité et l’adaptation.  La créativité humaine est une force incroyable et parfois je me dis qu’on devrait moins manifester et être plus dans le concret. 

C’est ma façon à moi de lutter contre les changements climatiques, de faire ma part, soit d’être dans l’action et l’inventivité. Ce que je vois, c’est que ce ne sont pas vraiment les changements climatiques qui vont modifier l’industrie, mais plutôt les changements sociaux.  

Ça demeure de l’agriculture, et c’est très difficile — partout, même ici.  Qui veut encore faire du travail agricole?  Ramasser des légumes dans les champs? Comme les changements climatiques rendent le métier encore plus difficile, il y aura de moins en moins de travailleurs.

Et les prix vont monter.  Déjà que depuis deux ans, le prix des cafés de grande qualité a atteint des sommets jamais vus.  Au Best of Panama 2021, on a dépassé le 4000$USD pour 1kg d’un lot de geisha fermenté et naturel avec une moyenne d’environ 400$USD le kg. C’est loin du prix des cafés du ‘‘C market’’. Cependant, il se dégage une tendance générale que les consommateurs sont prêts à payer pour de la qualité. Ils sont de plus en plus capables de percevoir la qualité — du moins ceux qui consomment du café autrement qu’en espresso.

(…)

Le café est un luxe et ça demande tellement de travail. Nous sommes encore, selon moi, dans l'inertie du développement colonialiste qui s’est atténué, mais on peut encore le percevoir. Le café devrait être vendu beaucoup plus cher sur toute la chaîne, ce qui permettrait de bonifier le prix payé aux producteurs.»

 
Du bon jus, comme on dit!

Du bon jus, comme on dit!

 

QUELS EFFETS DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE PEUX-TU PERCEVOIR DANS TON TRAVAIL?

« J’entends surtout les commentaires des producteurs sur les périodes de récolte qui changent. La floraison des plants de caféiers se fait plus tôt, et les défis de logistique que ça crée de leur côté sont de taille.

Je dirais que c’est quand même un signal clair quand un producteur du Honduras te dit que, selon leur registre, ça fait quasiment 100 ans qu’ils récoltent aux mêmes dates, mais que la maturité des fruits arrive maintenant plus vite et plus tôt.  Cela crée un décalage des récoltes. Ils doivent donc revoir l’embauche des travailleurs et modifier leur fonctionnement.

D’ailleurs, ça ouvre potentiellement la porte à un cycle de production supplémentaire.  C’est bon et moins bon, car oui, ça peut représenter une augmentation des revenus, mais ça risque de créer un surplus sur les marchés et une chute de la valeur.

L’offre et la demande, on ne s’en sort pas.»

 
 

QU’EST-CE QU’UN CAFÉ RESPONSABLE SELON TOI? QUELLE EST LEUR IMPORTANCE?

Dany marquis exprime de la déception quant aux solutions offertes par les certifications équitables, car elles ne se rapprochent pas totalement de sa vision réelle de l’équitabilité. Voici ses explications:

« J’ai tout de même été certifié équitable durant une dizaine d'années avant de décider de travailler autrement et de cesser d’utiliser la marque de commerce de Transfair Canada.  Ma décision fut le fruit de nombreuses lectures, discussions et réflexions sur le sujet.  Ma démarche nous a permis de mettre sur pied une stratégie différente qui est maintenant plus en harmonie avec mes valeurs.  

Je suis moins naïf et peut-être moins idéaliste qu’à mes débuts, mais je vise des interventions et une utilisation des dollars durement gagnés plus efficaces que d’envoyer annuellement des milliers de dollars à un organisme basé à Ottawa, qui emploie une quinzaine de personnes et qui ne me contacte que pour me rappeler que je leur dois de l’argent ou que mes rapports trimestriels contiennent des erreurs…  

Je ne leur en veux pas. Ils font leur boulot de gestionnaire de marque de commerce, mais je considère seulement qu’ils ne répondent plus à mes exigences dans ma conception du commerce équitable et de ce qu’on peut appeler un café responsable.  

Je privilégie également un type de commerce qui soit moins infantilisant et où les agriculteurs pourront conserver leur dignité dans nos relations.  Ce n’est surtout pas dans une optique de charité ou de bonne conscience qui diminue ma culpabilité d’homme blanc cisgenre que nous travaillons en partenariat, mais bien parce que nous visons une relation de type gagnant-gagnant.

 
« Il ne faut pas simplement payer un premium sur la torréfaction d’un café certifié. Il faut aller plus loin.  »
— Dany Marquis, Brûlerie du Quai
 

Et non sur la notion de « vous êtes pauvres, nous sommes riches, on va vous donner de l’argent, peu importe si le fruit de votre travail est de qualité ».  Donnez un revenu garanti basé sur une condition de faiblesse, de pauvreté, de minorité et vous n’obtiendrez que de la misère.  Bien sûr, il y a là matière à discussion et je suis loin d’être un expert en économie, mais je conserve toujours un fond de naïveté et mon instinct qui me dit d’aller dans cette direction.

J’ajoute l’engagement comme facteur de responsabilité, au même titre que mon abonnement de panier de légumes de mon maraîcher. Les torréfacteurs devraient tendre à s’approvisionner auprès des mêmes partenaires, année après année.  On peut d’ailleurs voir cette tendance lentement s’installer au Québec avec des torréfacteurs bien établis. Dans notre cas, nous en sommes maintenant à des achats récurrents de plusieurs années de suite avec, par exemple, San José Ocana au Guatemala, Coocentral en Colombie et COAGRICSAL au Honduras.

Je ne mets pas l’achat direct dans les critères de responsabilité, car souvent les achats directs lorsqu’on est face à de petits volumes coûtent trop cher de transport et le prix de vente est artificiellement gonflé. Travailler avec un bon courtier peut créer un meilleur impact sur les achats aux producteurs, en faisant des achats de groupe. Le torréfacteur doit mettre son égo de côté et accepter qu’il n’est pas un audacieux explorateur chasseur de café qui affronte les dangers de la jungle pour apporter de mystérieux grains de café digérés par un éléphant albinos. 

Ma démarche pour un café responsable se veut essentiellement une réorientation de la notion d’équité-charité vers des relations d’affaires gagnant-gagnant où chacun conservera sa dignité et sa fierté.  C’est également en me tournant dans cette direction, plus sociale qu’économique, que je sens le vent frais de la naïveté et de l’idéalisme si cher à la création de grandes choses. »

 
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QUELLES DÉMARCHES AS-TU ENTREPRISES / VAS-TU ENTREPRENDRE DANS LES ANNÉES À VENIR?

« J’ai déjà étiré mes réponses qui vont peut-être ennuyer certains lecteurs alors je vais y aller plus brièvement de ce côté.

Toute organisation qui veut faire sa part dans la réalité actuelle, soit celle du réchauffement climatique, est forcée à voir la situation en tant que compromis le plus favorable pour l’environnement dans un esprit de continuité, de pérennité, ou de développement durable si vous voulez utiliser le terme.

Dans les actions très concrètes que j’ai faites dans les dernières années:

  • Utilisation d’un torréfacteur du manufacturier Loring (modèle Kestrel), un des plus écologiques de la planète — réutilisation de la chaleur, consomme 80% moins de carburant, n’émet que de la vapeur d’eau dans l’air.  C’est un torréfacteur qui augmente aussi la productivité, donc moins de cuisson par jour. (…)

  • Utilisation de sacs de café de type Biotre 2.0 de la compagnie Tricorbraun Flex, presque 100% végétal, 60% compostable avec 40% de bioplastique non biodégradable.  Sur la planète c’est un des meilleurs emballages possibles qui permet un compromis entre la fraîcheur du produit, sa protection et le côté écologique.  Il nous reste des sacs pour plusieurs mois, mais Tricorbraun nous a avertis que leur version 3.0 est disponible pour notre prochain achat.  Ces nouveaux sacs sont en conformité avec la norme ASTM D6868 standard et ces nouveaux sacs pourront être mis directement dans le bac à compost.  D’ici un an, nous utiliserons ces sacs.  Il va de soi qu’ils coûtent jusqu’à 3 fois le prix des sacs en plastique multicouche d’aluminium utilisés partout.

  • Approvisionnement de café vert en circuit court en privilégiant nos sélections sur des achats d’Amérique Centrale et Amérique du Sud. 

  • À part ça, je viens travailler en vélo et l’hiver, j’ai un fat bike électrique.  Ça ne change pas grand-chose, mais chaque petite action compte.  N’empêche que cette année, j’ai plus souvent pris mon vélo électrique, parce que le vent au bord de la mer est parfois un peu agressif.  L’idée de travailler en région est aussi un aspect qui peut être pris en compte.  Toute l’équipe demeure dans un rayon très serré, ça limite les déplacements.»

 

SI TU AVAIS UNE CHOSE À DIRE AUX CONSOMMATEURS, QUE LEUR DIRAIS-TU? 

« En très bref:

  • SVP, arrêtez de demander aux torréfacteurs s’ils voyagent pour visiter les producteurs, ça ne change absolument rien à la qualité de la tasse.  

  • Laissez tomber l’espresso.  C’est une méthode qui ne met pas en valeur le café, ce qui vous empêche de goûter de vrais bons cafés et garde l’industrie dans un marché de piquette torréfiée foncée avec une valorisation du fameux créma.  L’espresso est aussi une préparation peu efficace en termes de rendement et qui génère des tonnes de gaspillage.  Pensez à toute la chaîne: de la terre, du travail agricole, du transport, de la torréfaction, encore du transport, pour finir sur le comptoir autour du moulin dans les fameux ‘‘dial-in’’.  En plus, l’espresso encourage la fabrication de machines bon marché dans des pays qui traitent leurs employés comme des esclaves.  

  • Adoptez les préparations filtres ou pleine-immersion ou les hybrides du genre.  Le café sera mis en valeur, vous allez réellement goûter le terroir et le travail du producteur et du torréfacteur.  Ça va permettre aux producteurs d’offrir plusieurs niveaux de qualité et d’avoir un meilleur prix pour leurs récoltes.  (…) La préparation filtre est écologique, ne génère pas de gaspillage et donne un bon rendement.  

  • Adoptez un torréfacteur.  Vous avez sûrement un coiffeur ou un comptable. Et bien choisissez un torréfacteur et appuyez-le.  Considérez-vous comme un membre de l’équipe, un membre de leur comité de dégustation.  Contactez-les, donnez-leur de la rétroaction.  

  • Un café torréfié par un anglophone n’est pas meilleur.  Les cafés torréfiés à Vancouver ne sont pas meilleurs.  Les cafés torréfiés aux USA ne sont pas meilleurs.  Soyons fiers de notre industrie et de l’expertise café qui s’est développée depuis 15 ans.

  • La 3e vague est terminée.  

  • Un torréfacteur peut très bien torréfier des assemblages traditionnels italiens foncés, et le lendemain torréfier avec les mêmes équipements des geisha lavés super floraux et de grande qualité. (…)

  • J’aime ma job.  La business café est caféinée, remplie de passion, d’émotion et d’amour.»

 

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