Café et climat: impacts sur la production du café


PRÉFACE

La série suivante, abordant les impacts des changements climatiques sur la culture du café, se veut différente dans sa structure et son contenu. Elle est composée d’un regroupement de blogues qui s’appuient sur la recherche scientifique, et qui décortiquent les impacts du réchauffement climatique sur la production du café ainsi que sur les sphères sociale et économique. C’est un sujet d’actualité qui me tient fortement à coeur, car nous sommes sur le point de vivre un bouleversement dans notre relation avec le café. Ces blogues ont pour but premier d’introduire les enjeux du climat sur le café pour conscientiser le lecteur, et alimenter les réflexions sur la portée et le pouvoir de nos choix en tant que consommateur. Cette série se penche ultimement sur la question suivante: que pouvons-nous faire concrètement pour assurer la pérennité de la culture du café dans un environnement où le climat est changeant?


 

Le café occupe une place centrale dans nos vies. Pour certains, c’est la toute première chose qui amorce la journée. Pour d’autres, le café est plus qu’un rituel: il s’agit d’une source de revenu irremplaçable. Des millions de petits producteurs en dépendent pour vivre et pour subvenir à leurs besoins. Ce n’est donc pas pour rien que c’est le deuxième produit le plus vendu après le pétrole à travers le monde. Depuis quelques années, les effets des changements climatiques ajoutent de nombreux défis pour les producteurs de café qui travaillent déjà d’arrache-pied pour vendre leur café à un prix dérisoire.

Réchauffement du climat, sécheresses, épidémies d’insectes et de maladies, espèces sauvages en voie de disparition, perte rapide du territoire propice à la production du café… voilà la réalité actuelle et inquiétante des producteurs à laquelle les consommateurs sont souvent détachés. Ce n’est qu’une question de temps avant que nous ne subissions directement les conséquences de ces enjeux climatiques.

 
Infusion manuelle du Qabbale (Uraga, Guji, Éthiopie) de Jungle torréfacteur de café

Infusion manuelle du Qabbale (Uraga, Guji, Éthiopie) de Jungle torréfacteur de café

 

LES ENJEUX CLIMATIQUES DU CAFÉ SUR LA PRODUCTION

① VARIATION DU CLIMAT

Le café est une culture hautement influencée par le climat. Il requiert une température optimale pour obtenir un bon rendement et une qualité acceptable. En effet, l’espèce Arabica (Coffea Arabica), composant près de 60% du café consommé à travers le monde, préfère un environnement entre 18 et 22°C (pendant le jour) pour se développer à son plein potentiel. Plusieurs variétés de cette espèce sont utilisées pour produire le café de spécialité que nous connaissons tous et elles sont sélectionnées pour leur qualité exceptionnelle. Quant à l’espèce Robusta (Coffea Canephora), elle pousse de façon optimale entre 22 et 28°C et représente le 40% restant de la production mondiale. Cette espèce est également plus résistante aux changements de température, mais cette caractéristique vient au détriment de son profil gustatif.

En dehors de ces conditions climatiques souhaitées, la qualité du grain et le rendement sont rapidement affectés peu importe l’espèce. Cela devient vite un problème pour les producteurs, qui sont obligés de jongler avec les vagues de chaleur extrême de plus en plus nombreuses, les sécheresses et les gels imprévus affectant la production.

L’épisode récent et inattendu de gel en juillet 2021 au Brésil est un exemple parmi tant d’autres de l’impact du climat sur le café. Les pertes sur la production, estimées à 4% de la récolte de 2022-2023 par Reuters, ont fait grimper le prix marchand du café à une valeur record depuis 2014. Ces évènements climatiques ont encore plus d’impact sur le marché mondial du café lorsqu’ils touchent une des régions productrices les plus prolifiques du monde — le Brésil est responsable d’un peu plus du tiers de la production mondiale du café.

 
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② PÉRIODES DE SÉCHERESSE EN CROISSANCE

En plus des variations de températures attendues avec les changements climatiques, la sécheresse est également un ennemi de taille à la production du café. De fait, la littérature scientifique prévoit une augmentation dans le nombre et la sévérité des épisodes de sécheresse dans les années à venir en raison du réchauffement climatique. La quantité et la distribution des précipitations influencent directement le rendement et la qualité du café; elles ont également un impact indirect sur les aptitudes bioclimatiques du territoire à produire du café. En d’autres mots, moins de pluie signifie moins de territoire propice à cultiver le café et plus de potentiel de pertes des récoltes. Combinées à une augmentation de la température, les périodes de sécheresse auront un effet négatif croissant et considérable dans les prochaines années si la tendance se maintient.

 

③ INSECTES ET ORGANISMES QUI AFFECTENT LES RÉCOLTES

La hausse de la température est non seulement nuisible pour la floraison et la fructification du caféier-même, mais elle entraîne aussi une augmentation des populations d’insectes et d’organismes ravageurs tels que la rouille du caféier (coffee leaf rust), le scolyte des baies du caféier (coffee berry borer) ou le foreur blanc de la tige du caféier (coffee white stem borer). Si nous ne parvenons pas à remédier à la situation, des épidémies plus sévères et plus longues pourraient avoir lieu, causant encore plus de dommage sur la production de café.

 
 

④ DANGER D’EXTINCTION
Pour s’assurer que la culture du café de spécialité soit durable malgré les effets des changements climatiques, la solution repose, entre autres, dans le développement d’espèces résistantes pouvant prospérer peu importe leur environnement tout en offrant des grains de qualité. Utopique, selon vous? Possiblement. Le problème, c’est que 60% des espèces de café sont en danger d’extinction selon Aaron P. Davis, chef de recherche sur le café chez Kew — Jardin Botanique Royal. C’est près de 3 fois plus que le pourcentage d’extinction globale des plantes! 😱

En fait, il existe 124 espèces de café recensées. L’Arabica et le Robusta en sont seulement deux exemples. En appliquant les critères de la Liste Rouge de l’Union Internationale de la Conservation de la Nature (UICN), 75 d’entre elles sont menacées d’extinction, et un peu plus de la moitié seulement de ces espèces sont conservées hors de leur habitat naturel. Même si l’espèce Arabica est la plus cultivée à travers le monde, elle fait malheureusement partie du groupe à risque.

Cette quantité impressionnante d’espèces de café, plus qu’importante pour la préservation de la biodiversité, pourrait contribuer à la survie du café tel que nous le connaissons malgré les changements du climat. Cependant, faudra-t-il avoir recours aux organismes génétiquement modifiés pour le développement d’une culture plus résiliente?

Jusqu’à maintenant, le Robusta a été principalement exploité pour ses caractéristiques de résistance à la rouille du caféier, pour sa productivité accrue et pour sa tolérance au climat. Cette espèce robuste, d’où son nom, a été reconnue par la science en 1897. Elle a été rapidement popularisée aux dépens de la protection des espèces de café indigènes. Pourquoi donc conserver d’autres espèces si l’Arabica et le Robusta répondent déjà à nos besoins? — question rhétorique ici…😅

Personnellement, j’entrevois la réorientation de la production du café vers de nouvelles espèces moins connues de la masse, comme le Liberica (Coffea Liberica), une espèce déjà utilisée dans des programmes d’hybridation du café Robusta. Peut-être verrons-nous naître de toutes nouvelles espèces génétiquement altérées par l’humain d’ici les prochaines décennies qui rejoindront les standards de qualité offerts par le café Arabica?

 

⑤ PERTE DU TERRITOIRE PROPICE À LA PRODUCTION DU CAFÉ
La littérature estime qu’une réduction générale du territoire propice à la cultivation du café est prévue avec un climat changeant. Selon la récente revue systématique de Pham et al. (2019), il est projeté que les terres à haute altitude soient plus favorables à la production dans les années à venir, et que celles ayant des aptitudes bioclimatiques peu souhaitables à l’heure actuelle deviennent des endroits propices où faire pousser le café. Or, ces territoires potentiels comprennent des zones ayant un couvert forestier important, comme l’Amazone, l’Asie ou l’Afrique Centrale. Certains d’entre eux sont également des territoires protégés ou des terres agricoles.

 

En somme, le climat apporte son lot de défis pour la production du café. Les températures à la hausse, l’eau qui se fait rare et les épidémies plus fréquentes avec les changements climatiques soulèvent des problèmes qui pourront éventuellement nuire à la culture durable du café. Est-ce la fin des haricots pour l’Arabica? 🧐

Dans les blogues à venir, j’aborderai les impacts socio-économiques du climat sur la culture du café et les solutions potentielles pour minimiser les effets du réchauffement climatique en tant que consommateur.

Comment voyez-vous ces changements? J’aimerais entendre votre opinion! 🔽

SOURCES:

Pham, Y., Reardon-Smith, K., Mushtaq, S. et al. The impact of climate change and variability on coffee production: a systematic review. Climatic Change 156, 609–630 (2019). https://doi.org/10.1007/s10584-019-02538-y

Davis, A. P., Chadburn, H., Moat, J., O’Sullivan, R., Hargreaves, S., & Nic Lughadha, E. (2019). High extinction risk for wild coffee species and implications for coffee sector sustainability. Science Advances, 5(1), eaav3473. https://doi.org/10.1126/sciadv.aav3473

Tavares, P.d.S., Giarolla, A., Chou, S.C. et al. Climate change impact on the potential yield of Arabica coffee in southeast Brazil. Reg Environ Change 18, 873–883 (2018). https://doi.org/10.1007/s10113-017-1236-z

N’Diaye, A., Poncet, V., Louarn, J. et al. Genetic differentiation between Coffea liberica var. liberica and C. liberica var. Dewevrei and comparison with C. canephora. Plant Syst. Evol. 253, 95–104 (2005). https://doi.org/10.1007/s00606-005-0300-1

https://varieties.worldcoffeeresearch.org/varieties

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